jeudi 2 février 2012

Francis #2


A la ville, ils n'avaient besoin d'aucune autre compagnie que celle qu'ils s'apportaient l'un à l'autre. Depuis ce jour de janvier, où une annulation de train les avait laissés démunis sur le quai d'une gare.

Yvonne particulièrement s'était sentie désorientée. Elle l'avait préparé ce départ, elle en avait prévu toutes les étapes. Elle avait essayé d'anticiper les obstacles, constitué son pécule franc après franc, caché la préparation de son bagage, tourné mille fois dans sa tête les mots qui expliqueraient à ses camarades et enseignantes son absence constatée.
Elle n'avait pas pensé que ce beau parcours, cette aventure rêvée pourrait se trouver perturbée par les premières chutes de neige. Quelques flocons la séparaient à présent de son but et elle se sentait perdue.
Elle se devait de lutter contre la panique qui n’apportait rien de bon. Pour cela elle avait conçu une technique bien à elle. Elle commença donc par la phase d’introspection. De quoi as-tu peur ? Tu ne vas pas reculer au premier obstacle ? Veux-tu vraiment retourner dans ce foyer où personne ne te comprend ? Regarde autour de toi, tu n’es pas seule. Regarde devant, vers l’avenir et va, chaque pas à son heure, chaque étape en son temps, peu importe le rythme.
Elle entama alors l’étude précise de ses compagnons d’infortune. Un couple, visiblement préoccupé, débattait sur la décision à prendre. Un grand-père rassurait son petit-enfant en lui chatouillant les joues de ses moustaches blanches. Plus loin, assis seul sur un banc, un jeune homme ne semblait pas perturbé par les évènements, tout absorbé dans la lecture d’un ouvrage épais à la couverture en tissu vert-anglais.
Et c’était tout.
Personne d’autre à cette heure dans la petite gare de Provence.
Seul ce jeune inconnu partageait un peu de sa solitude, bien qu’il soit en compagnie de son livre.
Elle ne distinguait pas son visage tout plongé qu’il était dans sa lecture. Son corps était parfois parcouru de frissons. Sans doute avait-il un peu froid.
Allait-elle trouver le courage de l’accoster ?
Une toute petite valise était posée à ses pieds. Que ses pieds paraissaient grands,… et fins à la fois.
Elle se sentait intimidée par cet homme. Il faut dire qu’au pensionnat elle n’avait été en contact qu’avec des femmes. N’étant jamais malade elle n’avait même pas eu affaire au Docteur Pouillon, dont le cabinet occupait un pavillon au bout de la rue et où les autres pensionnaires allaient souvent se réfugier quand l’ambiance était trop lourde.
Elle s’approcha un peu, se donnant le temps de réfléchir à ce qu’elle allait lui dire.
Ses chaussures étaient pleines de boue. Il avait dû faire route à pied avant d’arriver sur ce quai.
Il ne fallait pas le fixer trop longtemps, ne pas le mettre mal à l’aise.
Mais elle ne put s’empêcher de se tourner vivement vers lui lorsqu’elle l’entendit chanter.
Sa voix pénétra ses entrailles. Elle se sentit attirée par sa chaleur douce et profonde.
Il leva les yeux vers elle, ferma son livre tout en chantant, et son chant se transforma en paroles.
- Mademoiselle, ce contretemps me donne l’opportunité de vous offrir une petite soupe de tomate.
Sans qu’elle ait le temps de répondre elle se trouva inexorablement entrainée à travers la station. Il portait sa propre valise au bout du bras gauche et celle d’Yvonne dans la main droite. Elle ne savait comment il parvenait quand même à être prévenant et lui ouvrir les portes.
Dans le petit café-hôtel de l’autre côté de la place ils trouvèrent un abri douillet pour faire connaissance. « Le nid de la mésange bleue » était tenu par un octogénaire en manque de tendresse. Il était devenu veuf suite à une piqure de scolopendre quand ils vivaient en Afrique. Il avait toujours pensé que sa déformation du thorax le ferait partir en premier, et puis la solitude. Depuis il s’était installé là et ne se lassait pas de s’émouvoir des troubles vécus par ses clients. Il s’en passait autant chez lui que sur le quai de la gare. Les retrouvailles et les séparations vivaient souvent une étape autour de ses petites tables en bois. Et il se sentait continuer à vivre à travers elles.
Avant qu’ils aient eu le temps de se demander si c’était une erreur, Yvonne et André se trouvèrent tant de points communs, tant de rêves partagés qu’ils les envisageaient déjà ensemble. La mésange leur offrit l’asile de son nid en attendant le premier train du matin.

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après de nombreux mois sans trouver mes mots, je me suis de nouveau prise au jeu.
l'épisode d'aujourd'hui sera peut-être un jour relié à celui-ci.

récolte de mots chez Olivia Billington

Des mots, une histoire n°54.

Les mots imposés : erreur – tendresse – train – thorax – scolopendre – lutte – inconnu – inexorablement – boue – pavillon – compagnie – foyer – neige – étude – mésange – flocon – accoster – désorienté – parcours – tomate – chanter – gare – livre

13 commentaires:

wens. a dit…

Alors on sèche les cours! et pour quoi ? roucouler avec un bel inconnu...Et la France va mal, il faut plus s'étonner.

Asphodèle a dit…

Ho ! mais c'est du rapide ou je ne m'y connais pas ! Ha, les rencontres sur les quais de gare...si ça finissait toujours aussi bien ! :) Bravo !

Créasof a dit…

Cette histoire m'a emportée...

Olivia a dit…

Rapide la demoiselle ! Mais c'est un joli texte.

Pierrot Bâton a dit…

Mais qu' est-ce qu' il a donc mis dans la soupe de tomates ???

Soène a dit…

Tout est possible avec la SNCF !
D'un quai de gare à un petit hôtel, il n'y a qu'un pas. Deux lieux de passage pour des gens pas sages !

MissKa a dit…

Je me suis laissée porter par tes mots puis emporter par ton histoire et ses personnages attachants...
Bravo pour ce talent d'écriture, continue à nous régaler de ta plume !!!
Bisous ♥ et Bon week-end

annacarambole a dit…

Bravo pour ce retour aux mots, c'est important.

Valentyne a dit…

Une belle rencontre . En espérant qu 'André saura apporter à Yvonne Toute la tendresse dont elle a manqué ;-)

ceriat a dit…

Une bien belle rencontre. :D On n'en fait plus des comme ça d'ailleurs. ;-) C'est très bien écrit et poétique. :D

Damalalicorne a dit…

Je poste ce message ici car suite à un bug + formatage cette semaine, je n'ai plus de carnet d'adresses mails... Bref, je te souhaite un excellent anniversaire !
Biz de Stèphe

La plume et la page a dit…

Les gares sont pleines de promesses!

Klerheu a dit…

Je lirai bien la suite...