samedi 13 août 2011

Francis

Vous me savez friande de bonnes excuses pour jouer avec la langue française, et il s'en trouve quelques uns sur le web pour inciter les timides comme moi à se débaucher avec quelques mots...
J'étais, depuis juillet, au désespoir que c'en soit la pause estivale ... jusqu'à ce que je découvre qu'Asphodèle avait pris le relai par les plumes de l'été.

J'ai emporté dans mon panier sa récolte de mots en F (FANTASQUE  – FARIBOLES – FARANDOLE – FEU – FAUVE – FRIMAS – FOND – FOLIE – FIRMAMENT – FOULE – FAON – FASCINATION -FRICANDELLE – FIÈVRE – FRÉNÉSIE - FAKIR.)
... en j'en ai joué pendant quelques lignes 




Chaque après-midi des ses vacances, les frimas de décembre poussant la famille à se cantonner dans les pièces les plus chaudes de la vieille maison, Francis quittait à pas feutrés le petit salon où Mamy faisait la sieste devant un petit feu de cheminée. Quand il y pensait, ça lui faisait un drôle d’effet de constater à quel point le rythme de vie des vieux ressemblait à celui des nourrissons, repas et sieste en étant les principales ponctuations. Mais à celle heure-ci, point d’atermoiement, le temps est compté, un seul objectif : le grenier.

Papy et Mamy avaient gardé tous les costumes de leur jeunesse, du temps où leurs caractères fantasques étaient mis au service de la scène, où ils vivaient avec frénésie un personnage après l’autre. S’installant dans chaque étape comme si c’était un immense théâtre. Jouant de leurs charmes à la ville comme à la scène. Partout où ils passaient, ils captivaient la foule au premier mot, au premier regard. Il faut dire qu’ils vivaient alors chaque représentation comme si ce devait être la dernière.
La raison pour que cela s’arrête brusquement restait un secret qu’ils n’avaient jamais confié.


Francis aimait à poursuivre les rêves d’antan au fond des malles du grenier. La farandole des plumes de paon, le défilé des sacs en peau de faon, les rivières de froufrous, les piles de chapeaux… un jour chanteur de charme, un autre fakir ténébreux, tour à tour dompteur de fauves ou commandeur, jeune premier ou même duègne… la fièvre du jeu était contagieuse, faisant fi des effluves de naphtaline. Son appareil photo numérique stabilisé dans un angle de la pièce il reproduisait les précieuses affiches ou photos de journaux qu’il avait retrouvés dans une valise en carton.

Jusqu’à la mort de Papy l’année dernière, Mamy avait gardé au bord des yeux ce petit grain de folie qui exerçait sur Francis une fascination indéfectible. Et cette étincelle embrasait littéralement son visage juste ridé lorsque son petit-fils s’asseyait à côté d’elle, posait une main sur la sienne et lui lançait le regard avide qu’elle connaissait si bien.

A présent il ne lui restait plus que quelques brides de son passage au firmament. La gloire était morte avec l’amour de sa vie. Sur l’insistance de Francis elle racontait ces petites choses comme autant de fariboles, aussi peu importantes qu’un reste de fricandelle. De se raconter comme de vivre elle en avait perdu le goût. Ses yeux pleuraient lorsqu’elle feuilletait les albums en couleur recréés dans son sommeil, mais son cœur essoufflait ses derniers sursauts voyant revivre son avenir passé.
Aurait-elle la force, avant qu’il ne soit trop tard, de léguer les abysses de son histoire à cet enfant qui leur ressemblait tant ?

11 commentaires:

Leiloona a dit…

Comment rester insensible face à ce texte ?
Je ne peux pas m'empêcher de faire un lien avec ma propre histoire ...
Émotion très bien rendue !

Plume a dit…

Secrets de famille...
Se taire par peur de ce que les autres pourraient penser...
Encore une histoire vraie, comme dans de nombreuses familles. C'est un essai réussi dans le "jeu de plumes" d'Asphodèle !
Amitiés de Lyon

Jean-Charles a dit…

Plein d'émotion ce texte; Il y a toujours des choses que l'on ignore de nos aïeux.

Syl. a dit…

Moi aussi je me sens concernée par ce texte ! J'ai toujours eu du mal à imaginer ma grand-mère, non vieille. Heureusement que j'ai une vieille cousine qui me raconte son passé.
Beau texte émouvant.

32 Octobre a dit…

à ces greniers... enchanteur,dévastateur. Très bien raconté avec douceur

Asphodèle a dit…

Je suis heureuse de t'avoir donné envie et je ne suis pas déçue du résultat ! Tout en douceur comme ces souvenirs anciens qu'il faut recueillir précieusement et tendrement... :)

Amélie Platz a dit…

J'ai été très touchée par ton texte, par ces mots qui décrivent si bien la douleur de la perte de l'être aimé, sans qui ce qui faisait la vie n'a plus de sens... J'espère qu'elle trouvera un nouveau souffle dans la transmission ! Merci pour ce beau moment, très doux, de lecture...

Anonyme a dit…

aussi très touchée car cela m'a ramené à des souvenirs.. J'aimais le grenier de mes grands parents de leurs vivants, mais ce fut un toute autre sentiment quand j'y suis allée "pour trier" et prendre ce que je voulais avant le "balayage".. Voir tout ce que ma grand mère avait entreposé (l'effet du manque pendant la guerre..) pour "rien" m'avait bcp émue.. Curieusement, je ne suis pas du tout attachée à garder quoique ce soit, je suis plutôt minimaliste, c'est pourquoi le blog reste pour moi un "témoignage" plus éloquent de mon passage ! Enfin, bref, ton texte m'a renvoyé à bcp de choses...

Anonyme a dit…

Douceur, tendresse, émotion... un texte qui transporte dans les souvenirs d'enfance...

marjolaine a dit…

Un très joli récit plein de sensibilité !

Antiblues a dit…

Une très belle plume à l'émotion contenue. Bien agréable à lire !!