A la ville, ils n'avaient
besoin d'aucune autre compagnie que celle qu'ils s'apportaient l'un à l'autre. Depuis
ce jour de janvier, où une annulation de train les avait laissés démunis sur le
quai d'une gare.
Yvonne particulièrement
s'était sentie désorientée. Elle l'avait préparé ce départ, elle en avait prévu
toutes les étapes. Elle avait essayé d'anticiper les obstacles, constitué son
pécule franc après franc, caché la préparation de son bagage, tourné mille fois
dans sa tête les mots qui expliqueraient à ses camarades et enseignantes son
absence constatée.
Elle n'avait pas pensé que ce
beau parcours, cette aventure rêvée pourrait se trouver perturbée par les
premières chutes de neige. Quelques flocons la séparaient à présent de son but
et elle se sentait perdue.
Elle se devait de lutter contre
la panique qui n’apportait rien de bon. Pour cela elle avait conçu une
technique bien à elle. Elle commença donc par la phase d’introspection. De quoi
as-tu peur ? Tu ne vas pas reculer au premier obstacle ? Veux-tu
vraiment retourner dans ce foyer où personne ne te comprend ? Regarde
autour de toi, tu n’es pas seule. Regarde devant, vers l’avenir et va, chaque
pas à son heure, chaque étape en son temps, peu importe le rythme.
Elle entama alors l’étude
précise de ses compagnons d’infortune. Un couple, visiblement préoccupé, débattait
sur la décision à prendre. Un grand-père rassurait son petit-enfant en lui
chatouillant les joues de ses moustaches blanches. Plus loin, assis seul sur un
banc, un jeune homme ne semblait pas perturbé par les évènements, tout absorbé
dans la lecture d’un ouvrage épais à la couverture en tissu vert-anglais.
Et c’était
tout.
Personne d’autre à cette heure dans la petite gare de Provence.
Seul ce jeune inconnu
partageait un peu de sa solitude, bien qu’il soit en compagnie de son livre.
Elle ne distinguait pas son
visage tout plongé qu’il était dans sa lecture. Son corps était parfois
parcouru de frissons. Sans doute avait-il un peu froid.
Allait-elle trouver le courage
de l’accoster ?
Une toute petite valise était
posée à ses pieds. Que ses pieds paraissaient grands,… et fins à la fois.
Elle se sentait intimidée par
cet homme. Il faut dire qu’au pensionnat elle n’avait été en contact qu’avec
des femmes. N’étant jamais malade elle n’avait même pas eu affaire au Docteur
Pouillon, dont le cabinet occupait un pavillon au bout de la rue et où les
autres pensionnaires allaient souvent se réfugier quand l’ambiance était trop
lourde.
Elle s’approcha un peu, se
donnant le temps de réfléchir à ce qu’elle allait lui dire.
Ses chaussures étaient pleines
de boue. Il avait dû faire route à pied avant d’arriver sur ce quai.
Il ne fallait pas le fixer
trop longtemps, ne pas le mettre mal à l’aise.
Mais elle ne put s’empêcher de
se tourner vivement vers lui lorsqu’elle l’entendit chanter.
Sa voix pénétra ses
entrailles. Elle se sentit attirée par sa chaleur douce et profonde.
Il leva les yeux vers elle,
ferma son livre tout en chantant, et son chant se transforma en paroles.
- Mademoiselle, ce contretemps
me donne l’opportunité de vous offrir une petite soupe de tomate.
Sans qu’elle ait le temps de
répondre elle se trouva inexorablement entrainée à travers la station. Il
portait sa propre valise au bout du bras gauche et celle d’Yvonne dans la main
droite. Elle ne savait comment il parvenait quand même à être prévenant et lui
ouvrir les portes.
Dans le petit café-hôtel de l’autre
côté de la place ils trouvèrent un abri douillet pour faire connaissance. « Le
nid de la mésange bleue » était tenu par un octogénaire en manque de
tendresse. Il était devenu veuf suite à une piqure de scolopendre quand ils
vivaient en Afrique. Il avait toujours pensé que sa déformation du
thorax le ferait partir en premier, et puis la solitude. Depuis il s’était installé là et ne se
lassait pas de s’émouvoir des troubles vécus par ses clients. Il s’en passait
autant chez lui que sur le quai de la gare. Les retrouvailles et les séparations
vivaient souvent une étape autour de ses petites tables en bois. Et il se
sentait continuer à vivre à travers elles.
Avant qu’ils aient eu le temps
de se demander si c’était une erreur, Yvonne et André se trouvèrent tant de
points communs, tant de rêves partagés qu’ils les envisageaient déjà ensemble.
La mésange leur offrit l’asile de son nid en attendant le premier train du
matin.
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après de nombreux mois sans trouver mes
mots, je me suis de nouveau prise au jeu.
l'épisode d'aujourd'hui sera peut-être un jour relié à
celui-ci.
Des mots, une histoire n°54.
Les mots imposés : erreur – tendresse – train – thorax – scolopendre – lutte – inconnu –
inexorablement – boue – pavillon – compagnie – foyer – neige – étude –
mésange – flocon – accoster – désorienté – parcours – tomate – chanter –
gare – livre