samedi 27 août 2011

Angelo

Dernière chez Asphodèle pour les les plumes de l'été.

La semaine dernière les G m'ont laissée sur le côté de la route, c'est donc avec plaisir que j'ai vu l'inspiration revenir après la cueillette en H :  
HÉSITER – HURLEMENT – HUMAIN – HÉLICOPTÈRE – HIRSUTE – HÉCATOMBE – HONNEUR – HONGROISE – HASCHISCH – HARMONIE – HUMBLE – HÉRISSON – HYPOTHÈSE – HUMILIATION – HANTER – HARIDELLE – HASARD – HYÉMAL (E) ou HIÉMAL(E) – HALO.









L’hélicoptère approchait du but.
Depuis qu’il avait entendu parler de l’hécatombe survenue sur ce promontoire au milieu des Alpes, Angelo ressentait ce très ancien besoin de haschich. Ce besoin qui avait tant envahi ses heures sombres de la post-adolescence, quand l’envie de faire quelque chose de sa vie et l’appréhension de ne savoir par quel bout commencer avait fait de lui un être à la limite de l’humain, hors de toute vie sociale, hirsute et sale, cloitré dans sa chambre d’étudiant, ne sachant même plus dans quelle fac il était inscrit.
Jusqu’au jour où les hasards de l’existence lui avaient fait croiser celle de cette petite hongroise qu’il épouserait vite et dont il divorcerait presqu’aussitôt. Eva l’avait réveillé de sa torpeur en se moquant de lui. Drôle de technique de séduction. Le croisant alors qu’il se trainait jusqu’à son dealer, elle l’avait regardé brièvement et traité de haridelle. Dans son état peu loquace les contacts étaient rares et jamais désintéressés. Ce mot jeté sur son épaule l’avait donc arrêté dans sa course autodestructrice. Il s’était alors retourné pour la voir assise sur un banc, absorbée par la lecture de « l’élégance du hérisson ».
Les hurlements des survivants contrastaient avec l’harmonie quasi lunaire du lieu. Son équipier Jo avait hésité sur le marchepied de l’hélico, pressentant l’horreur de ce qu’ils allaient découvrir. Parmi les plantes hiémales autochtones se trouvaient dispersés les effets personnels de certaines victimes. Pour l’instant aucun corps, aucun autre signe de vie, juste les voix brisées qui appelaient.
Lorsqu’ils étaient arrivés au sommet de la Tournette, juste quelques minutes avant le levé du soleil, l’air était encore frais mais vibrait déjà du réveil de la faune. Ils se connaissaient depuis huit mois et c’était leur dernier week-end de célibataires, le samedi suivant ils seraient mariés. Angelo avait ressenti une forte angoisse tout le long de la randonnée nocturne, de la peur même. La présence de sa douce compagne ne palliait pas l’hostilité de la nature silencieuse. Une fois solidement assis au sommet, face à l’est, dans l’expectative impatiente de l’embrasement du ciel, son cœur s’était apaisé. Même les cris soudains des Pouillots Véloces ne parvenaient plus à entacher sa sérénité.
L’hypothèse annoncée par la radio était que l’assassin avait mis fin à ses jours. Mais après toutes ses années, Angelo avait appris à rester humble face à la folie meurtrière. Il mettait un point d’honneur à ne présumer d’aucune option, ne rien exclure, ne pas trop anticiper. Garder l’esprit ouvert et la tête froide lui avait évité bien des humiliations dans lesquelles il voyait encore ses collègues s’empêtrer régulièrement.
Lui-même avait eu envie de devenir flic en allant ouvrir une main-courante pour violence conjugale.
L’ampleur de ce qu’on pouvait appeler un charnier était telle qu’il débrancha sa fibre empathique. Il fallait s’occuper des survivants et découvrir le fin mot du mobile qui avait guidé la machette du meurtrier.
Les victimes n'étaient pas plus âgées qu’eux cette année là. Certains avaient perdu la raison ou la vie, à l’âge où il avait cru renaitre entre les bras pâles d’Eva.
Le plus important était de ne passer à côté d’aucun indice, de panser chaque plaie visible ou invisible, ne rien laisser derrière soi… puis prendre du recul. Rares étaient les affaires où la vérité apparaissait immédiatement. Il fallait de toute façon se méfier des apparences. Il pouvait même envisager qu’une des victimes présumées soit en fait le coupable.
Présumé. Présumer. Ce mot résonnait toujours douloureusement dans sa tête. Mais c’était son métier. Cette page là de sa vie privée était tournée depuis longtemps. Depuis longtemps d’ailleurs elle n’était pas venue le hanter aussi cruellement.
Longue journée de travail et d’effort vers l’oubli.
Il quitta le dernier ce lieu d’ombre et de drame.
Le halo de la lune, derrière les nuages, l’accompagna jusqu’à sa solitude.

10 commentaires:

32 Octobre a dit…

un texte prenant où tout pouvait à chaque instant basculer... j'aime ce genre d'atmosphère

Rêva a dit…

Comme 32 Octobre, cette atmosphère tout en suspens me plaît, et c'est très bien écrit. Merci.

Olivia a dit…

Un texte d'ambiance dont j'aime tout particulièrement la dernière phrase.

Jeneen a dit…

très très bien écrit, une écriture que j'aime...et que je découvre ! A très bientôt

Amélie Platz a dit…

Je suis envoûtée... C'est bien écrit, et fait douloureusement écho à d'autres événements tragiques... bien réels, ceux-là !

Eiluned a dit…

Une atmosphère toute particulière, comme Olivia j'aime beaucoup la dernière phrase très belle et poétique.

Jean-Charles a dit…

Un texte troublant et quelle belle dernière phrase.

Aymeline a dit…

Un texte très bien écrit où l'on sent bien l'horreur ressentie par le personnage

Plume a dit…

Ca m'a fait penser au texte de Jean-Charles.
Mais là, c'est pas pour le tournage d'un film...
L'ambiance nous envahit, au cours de notre lecture, j'espère que ce n'est pas un fait divers réel.
Bises de Lyon

Célestine ☆ a dit…

"l’air était encore frais mais vibrait déjà du réveil de la faune"
J'aime vraiment beaucoup cette phrase...et bien d'autres de ce texte subtil.
Bravo!